Je savais désormais que le cours du monde est la texture même de ma propre vie., S. de Beauvoir, Tout compte fait
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Discours de Madeleine Gobeil - Prix Beauvoir 2016

HOMMAGE A GIUSI NICOLINI
MAIRE DE LAMPEDUSA

Madame La Présidente du Jury,
Mesdames et Messieurs
Chère Giusi NICOLINI, Maire de Lampedusa

È un piacere e un onore di rendervi omaggio, oggi, che diventate la novesima Laureata del Premio Simone de Beauvoir per la libertà. Mi sembra impossibile dire - Giusi NICOLINI – senza aggiungere immediatamente - Sindaco di Lampedusa - perché il vostro nome è associato a questa piccola isola del Mediterraneo che il poeta ARIOSTO nel Orlando Furioso, ai tempi antichi, descriveva come una piccola isola quasi ricoperta dal mare che la circonda.

Je disais donc à notre amie Giusi Nicolini que c’est un plaisir et un honneur de lui rendre hommage aujourd’hui , où elle devient la 9ème lauréate du prix Simone de Beauvoir pour la liberté. Il me semble impossible de dire « Giusi Nicolini » sans ajouter aussitôt « Maire de Lampedusa » tant son nom est associé à cette petite ile du sud de la Méditerranée que le poète ARIOSTE, dans Roland furieux, aux temps anciens, décrivait comme une « petite île, presque ensevelie sous la mer qui l’entoure ».

Vous êtes une enfant des îles, vous n’avez presque jamais quitté votre île que vous aimez passionnément. Quand vous regardez au loin, c’est la mer, quand vous levez les yeux, vous voyez l’infini qui exalte votre combat ici et maintenant. Les gens des îles, dit-on, ont souvent le caractère bien trempé. L’île de Lampedusa de 20 kilomètres carrés, comme les îles voisines de Malte, de Linosa et de Pantalleria, fut habitée dès la Préhistoire.Elle est liée à l’histoire des peuples qui ont sillonné la Méditerranée pour le commerce et ont combattu pour sa conquête, des Phéniciens à nos jours.

C’est à Lampedusa que vous vous êtes forgée un destin.Toute jeune, il y a trente ans déjà, soutenue par un père discret et aimant, vous avez voulu vous mettre au service des êtres humains qui vous entouraient. Votre vie serait une vie POLITIQUE que vous avez envisagée d’entrée de jeu comme une ETHIQUE au sens où Hannah Arendt l’entendait, une solidarité avec ceux dont vous vous saviez RESPONSABLE. Vous êtes une militante qu’intéresse l’action, l’énergie, le faire au service des autres et c’est ce qui donne sens à votre vie. Vous avez toujours anticipé les événements. Bien avant que le souci de l’environnement devienne la grande préoccupation de notre époque, vous avez su dans vos jeunes années de maire-adjointe sensibiliser la population de Lampedusa en créant dans cette terre aride un beau parc naturel, afin de protéger les espèces végétales et animales. Il y a 40 ans les tortues étaient sur la table des habitants de Lampedusa et on chassait les dauphins. Aujourd’hui la réserve naturelle des tortues est devenue célèbre pour l’enchantement des touristes et des enfants. En même temps, vous vous êtes fait beaucoup d’ennemis, lorsque vous avez voulu protéger le rocher de la spéculation immobilière.

Mais un événement a bouleversé votre vie : l’arrivée par flots continus à travers les années et à partir surtout des années 2000 de ces embarcations de fortune, de ces rafiots qui échouaient sur l’île, transportant à leur bord des centaines de migrants démunis, hommes, femmes, enfants fuyant la guerre et la misère en quête d’une vie meilleure. Ils ont été accueillis, hébergés, nourris, vêtus par la population de Lampedusa. Mais que faire quand 15,000 migrants sont éparpillés parmi une population qui compte 6000 habitants et que, inévitablement, les tensions sociales surgissent malgré les bonnes volontés. Au temps du gouvernement précédent certains ont voulu que le centre d’accueil temporaire devienne un centre d’expulsion, une sorte de prison à ciel ouvert. Les migrants comme aussi les habitants de l’île ont refusé cette proposition.

Forte de toute l’expérience que vous avez vécue pendant une trentaine d’années et ayant accédé au poste de maire en 2012, vous avez décidé que la situation ne pouvait plus durer, qu’il vous fallait parler, alerter votre gouvernement, l’Europe,la communauté internationale, les médias avec des demandes d’aide précise pour les migrants qui réclament l’asile dans l’indifférence générale. Vous vous êtes écriée : « comment peut-on accepter au XXI ème siècle de demander l’asile à la nage ? ».

Dans un premier temps,vous vous êtes heurtée à une certaine indifférence devant ce que le Pape François a décrit comme « un holocauste moderne ». Il vous a apporté un appui engagé lorsqu’il vous a rendu visite en juin 2013 en vous disant : « vous avez fait de cette petite île une grande cause ».

Quelques mois plus tard, en octobre 2013, Lampedusa était le théâtre d’une immense tragédie avec la mort par noyade de 366 migrants à quelques centaines de mètres des côtes de l’île. Vous étiez sur le môle, accueillant les morts, sauvant les survivants. Quelle descente aux enfers ! Avec une constance opiniâtre, avec un stoïcisme exemplaire et inimitable, Antigone des temps modernes, forte du sacrifice et de l’effacement de soi, vous avez de nouveau endossé votre fardeau pour continuer à sauver de nouvelles vies.

Vous travaillez en harmonie avec ces gardes-côtes de l’Agence Frontex qui ont perfectionné leurs techniques afin de pouvoir sauver le plus de vies possibles. Vous avez créé un nouveau centre d’accueil un centre modèle qu’on vient visiter du monde entier, un des seuls centres existant en Europe où des équipes de médecins, de psychologues, d’animateurs, d’assistants sociaux vous assistent désormais pour donner un peu d’espoir aux rescapés.Vous accordez une attention particulière aux femmes qui ont presque toutes subi de sérieux sévices moraux et corporels pendant leur long voyage vers la LIBERTÉ. Lampedusa et l’Italie sont en première ligne.

On sait aussi que la situation est devenue catastrophique depuis l’été dernier, que l’Europe tarde à comprendre que tous les pays sont responsables de la situation, et qu’il faut changer les politiques inhumaines d’asile et d’immigration, qu’il n’est plus possible de se détourner des réfugiés et des demandeurs d’asile, que les clôtures n’empêcheront pas la venue des désespérés. En 2015, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, plus de 750,000 migrants ont traversé la Méditerranée et près de 3,44O de sont noyés.

Chère Giusi Nicolini, vous savez qu’en son temps, Simone de Beauvoir a participé aux grands combats de son époque, qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie, de la guerre du Vietnam, de la cause anti-apartheid en Afrique du Sud et l’on connaît son engagement et son implication dans les mouvements en faveur des femmes comme le Manifeste des 343 sur l’avortement, le mouvement de libération des femmes comme aussi la Ligue du Droit International des femmes. Elle a montré avec Le Deuxième Sexe tant de manières d’envisager et de changer le monde et notre condition. Elle aurait admiré votre grande leçon d’espoir et d’énergie, votre manière d’être au service de l’obligation universelle envers tous les êtres humains. En vous choisissant comme notre lauréate 2016 ,le Jury a pensé que vous étiez dans la continuité de la pensée de Simone de Beauvoir de son sens des responsabilités, de sa générosité légendaire, de sa sensibilité tournée vers les autres.

Cara GIUSI, voi avete capito che cos’è l’esilio. Siete une donna dell’altrove...LALTROVE, diceva Simone de Beauvoir « é una parola ancora più bella che tutti altre nomi. »

Chère Giusi Nicolini vous savez ce qu’est l’EXIL...Vous êtes une femme de « L’AILLEURS »... « L’ailleurs, disait Simone de Beauvoir, est un mot encore plus beau que tous les autres noms ».

Comme Simone de Beauvoir, vous avez chère Giusi tenté de créer votre propre destin et de ne céder sur rien. Nous admirons votre courage et votre volonté.

Acceptez toutes nos félicitations.

Madeleine Gobeil
14 janvier 2016